Monsieur Paul, en cuisine !

Triste nouvelle que celle du décès de Paul Vanlancker, « Monsieur Paul » comme l’appelaient les habitués de Chez Léon, restaurant historique de la rue des Bouchers, dont il a dirigé les cuisines. J’ai eu la chance de travailler il y a quelques mois avec ce grand monsieur de la gastronomie populaire bruxelloise lors de la rédaction de l’ouvrage Chez Léon, publié fin 2018, à l’occasion des 125 ans de cette maison. Une belle histoire.

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Paul Vanlancker, ce fut la découverte d’une cuisine populaire et simple, habillée de zwanze et de bonne humeur. Paul, c’est les asperges à la flamande, le toast aux champignons, le bloedpens à la bruxelloise, les choesels au Madère, le waterzooi, la côte de porc Blackwell, les chicons au gratin, les rognons de veau à la gueuze, le stoemp à la bruxelloise et les moules, les moules bien sûr, de moules à toutes les sauces, dont il servait à la grande époque de l’Îlot sacré jusqu’à une tonne par jour. Oui, une tonne par jour !

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Comme son père Georges, comme son grand-père, comme tout Vanlancker, Paul a su très tôt qu’il serait cuisinier. Il avait beau nourrir une passion pour la photographie, le music hall et les voyages, il s’est retrouvé à quatorze ans en cuisine, d’abord au Canterbury, puis à la Rôtisserie ardennaise, puis Chez Léon où on le rappelle un beau matin de 1960 car le responsable du poste « moules » s’était fait porter pâle.

Son arrivée coïncide avec les grands jours, plutôt les grandes nuits du Bruxelles qui brusselait. Chez Léon, rue des Bouchers, était au cœur d’un quartier rempli de cafés, de brasseries, de boîtes de nuits, de clubs de jazz, de salles de music-hall. Bourgeois de la périphérie sud, campagnards en quête de fortunes diverses, artistes, étudiants, petits voyous et autres fêtards, tous se retrouvent dans l’Îlot sacré. Côté vedettes, Tino Rossi, Joséphine Baker, Georges Brassens, Gilbert Bécaud ou Eddie Constantine sont à l’affiche dès music hall du quartier.

« C’était dingue ! », m'a raconté Monsieur Paul lorsque nous rédigions l’ouvrage. « Tous les soirs, la fête. J’ai vu naître les boîtes de jazz de Bruxelles. Tu avais le Blue Note dans l’actuelle librairie Tropismes. La Rose noire, en face de Chez Léon. On me laissait y rentrer. Je n’avais pas l’âge, mais le portier, me connaissant, fermait les yeux. Brel a fait ses débuts au Coup de lune, à côté du Théâtre de Toone. On croisait Ferré, Reggiani, Juliette Greco, Georges Moustaki, Manu Dibango… Moustaki a écrit un livre sur la rue des Bouchers. Tu sais ça ?! Moustaki ! Moi, gamin, je servais des frites à ces artistes ! Ces gars venaient chez nous et Aux Armes. Puis on a eu Johnny ! Combien de fois Johnny est-il venu chez Léon ?! Des dizaines de fois ! Et Brel… Au début des années 70, il a réalisé l’adaptation française de L’Homme de la Mancha au Théâtre royal de la Monnaie. Tous les midis, lui et son équipe mangeaient chez moi, à l’étage. Brel, Dario Moreno, Joan Diener… Je les servais tous les jours.

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Homme de fourneaux, fêtard assumé, Paul Vanlancker a ensuite participé aux développements de l’enseigne pris en main par son frère Rudy à la mort de leur père. Ensemble, ils ont fait grandir l’enseigne pour en faire le restaurant le plus fréquenté de la ville et du pays, en veillant à ce que la maison ne perde rien de son âme. Ceux qui connaissent et continuent de fréquenter Chez Léon savent qu’ils ont réussi : Chez Léon est une adresse populaire dans la noblesse du terme. Un adresse que l’on aime profondément. Paul a également accompagné son frère qu’il admirait profondément, dans le développement de la marque sur la Belgique, puis sur l’international, étant de toutes les ouvertures. C’est toutefois la maison mère qu’il appréciait le plus, celle de la rue des Bouchers où il était né, et où il passait jusqu’au l’hiver dernier deux trois fois par semaines, histoire de s’assurer que tout tournait bien. Comme autrefois, comme au temps où Bruxelles brusselait. On lui souhaite bon vent et on adresse à ses proches, à Chez Léon nos pensées les plus affectueuses. Les photos de ce post sont de Cici Olsson, tirées du livre Chez Léon, une friture bruxelloise, que l'on trouve en librairies, au restaurant Chez Léon, et sur notre site.