50 Best : on prend les mêmes, on recommence...

Rien de bien nouveau côté World’s 50 Best. L’Osteria Francescana est de nouveau sacrée « meilleur restaurant du monde ». Situé à Modène, en Italie, l’établissement dirigé par Massimo Bottura reçoit le graal pour la seconde fois en trois ans. L’enseigne italienne succède au palmarès à l’Eleven Madison Park du chef suisse Daniel Humm, à New York, relégué à la 4eplace. El Celler De Can Roca, basé à Gérone, en Catalogne, sacré en 2013 et 2015, termine à la 2eplace. Le troisième du classement est le Mirazur de Menton, tenu par le chef italo-argentin Mauro Colagreco, 4e en 2017. Discuté, décrié par certains chefs, notamment en France, le classement s’avère une réelle reconnaissance pour les chefs primés. Sur les cinquante chefs retenus, quarante-neuf, dit-on, étaient présents à Bilbao. Une belle opération de communication pour la ville, la région ou le pays organisateur de l’événement. Et d’ici deux ans, selon les bruits de couloirs, c’est à Anvers que cela se passera. 

Massimo Bottura 50 Best 2018 6076622

A l’analyse, donc, rien de bien neuf. Un petit club, une affaire qui ronronne. Pas de trace de René Redzepi, Noma, qui a certes fermé son restaurant quelques mois l’année dernière, mais n’en est pas moins resté actif dans le milieu. Qu’a-t-il pu faire aux jurés pour être ainsi écarté ? Puis à peine cinq femmes retenues dans le classement, dont Ana Ros, qui s’était vue décerner le titre de « Meilleure cheffe » l’année dernière. La Française Dominique Crenn (deux étoiles à l’atelier Crenn à San Francisco), militante affirmée pour l’égalité des droits en cuisines et Meilleure cheffe en 2016, n’apparaît même plus dans le classement 2018. 

On est un peu étonné par le peu d’échos donnés, cette année, à la manifestation. Peut-être est-ce la coupe du monde ? Ou, peut-être que le grand public se fatigue d’un classement jugé discutable ? Davantage que par ceux qu’il couronne, celui-ci vaut peut-être plus par les mouvements qu’il génère. La sélection de deux chefs péruviens dans les dix premiers, par exemple. Ou l’émergence de deux chefs mexicains à la porte du top 10 (11eet 13e). On remarquera qu’aucun Belge parmi les 50 premiers : Peter Goossens est passé de la 50eà la 63e, The Jane est à la 89e. Aucune trace du Hertog Jan ou de Chambre Séparée, à Gand, des enseignes aux personnalités répondants pourtant à l’esprit des tables appréciées par le 50Best. Aucune trace d’un chef bruxellois ou d’un chef wallon avant la centième place.  

Belle opération de communication

L’opération s’avère une formidable opération de communication pour l’organisateur. L’événement a réuni quarante-neuf chefs sur les cinquante élus, nous dit-on ainsi qu’énormément d’acteurs en vue de la planète food, souvent invités. Cette année-ci, c’était Bilbao que cela se passait. La ville aurait allongé le 1.000.000 d’euros nécessaire à l’organisation de l’événement. La Flandre, très active dans le secteur gastronomique – on se souvient d’une forte présence chez Omnivore, au printemps dernier – chercherait à remporter la mise pour organiser l’événement à Anvers dans deux ans. 

Cela devrait-il permettre aux chefs flamands, voire belges, à progresser dans le classement. Rien ne l’affirme, même si on sera curieux de voir la position des chefs basques à la réputation déjà bien assurée. L’académie des votants est supposée réunir plus de 1 000 membres, répartis entre chefs, restaurateurs, journalistes spécialisés et gourmets globe-trotteurs. Elle est aujourd’hui divisée en 26 zones géographiques, coordonnées chacune, sur le papier, par un(e) responsable. Toujours sur le papier, celui-ci détermine un panel de 40 votants anonymes, dont au moins 25 % sont supposés être renouvelés tous les ans. La zone géographique intégrant la Belgique a depuis quelques mois un responsable anversois. L’absence des chefs belges ou hollandais nous incite à penser que la nouvelle équipe n’est pas encore bien rodée. Auparavant, les votants, majoritairement flamands et hollandais, s’accordaient pour concentrer leur voix sur un ou deux chef hollandais, un ou deux chefs belges, afin d’être plus ou moins certain d’avoir un élu de chaque pays dans le classement. De bonne guerre…

Le 50 Best a été créé en 2002 par la revue anglaise Restaurant. L’affaire a été rachetée en 2006 par le groupe William Reed qui a depuis développé le World’s 50 Best Restaurants en un organisme indépendant du magazine, mais parrainé par de grandes marques, de plus en plus présente. Elle a peu de légitimité. Le principal point positif de ce classement est d’avoir ouvert la gastronomie au monde. L’Espagne, d’abord, puis l’Angleterre, via The Fat Duck, et les pays scandinaves qui sont sortis d’un profond anonymat culinaire. Si des destinations comme Copenhague, Stockholm ou Londres, voire le Brésil, le Pérou ou le Mexique, sont aujourd’hui devenues des « gourmets destinations », c’est en partie grâce à ce classement et ses choix. Autre point positif, le classement a décloisonné le genre, ouvrant la gastronomie à la diversité des styles culinaires.  

En couronnant, au début des années 2000, la cuisine créative de Ferra Adria, chef catalan d’El Bulli, Restaurant a entraîné une modification du fonctionnement du milieu de la restauration. Cuisiner ne suffit plus. La cuisine est devenue un théâtre, et le chef, un raconteur d’histoires. Quelques années après Adria, Redzepi a théorisé une cuisine locavore en s’inspirant de l’esprit d’un manifeste édité par les cinéastes scandinaves. Les chefs d’Amérique du sud articulent aujourd’hui leurs propos autour de l’Amazonie ou des paysages grandioses de leurs pays. Des cuisines qui racontent des histoires bien foutues, plus qu’elles ne remplissent les ventres ou ne réjouissent les tables. Peut-être est-ce là que les chefs belges doivent progresser ? 

Ces histoires n’existent que par les communicateurs qui les font vivre. Il est aujourd’hui devenu impensable pour un chef d’espérer une quelconque reconnaissance sans un responsable de communication, voire une équipe de communicateurs, et une présence accrue sur les réseaux sociaux, dans les journaux ou en librairies. Quel est le  budget et l’énergie aujourd’hui dévolus par  un restaurateur à sa communication ? Difficile à savoir… mais si on pouvait créer une nouvelle liste, partant du plus gros budget de communication vers le plus faible, mon petit doigt me dit que les premiers ne seraient peut-être pas très différents des lauréats actuels.