Eric Martin, triste nouvelle

Autodidacte amoureux des produits de terroirs, Eric Martin s’en est allé ! Triste nouvelle, tombée là, juste bouleversante. Eric, cette montagne. Eric, bâti comme un chêne, notre ami aux paluches capables d’assommer un bœuf. Eric, et sa magnifique maison de bouche, au coeur du village, sur les premiers contreforts de l'Ardenne. Autant dire que l'on aura difficile à s’en remettre... Un amoureux de la terre, plutôt un amoureux de sa terre, entre Famenne et Ardennes, passionné par ses forêts... Un connaisseur de champignons, d’herbes rares et de produits vrais. Une belle âme, puissante et fragile.

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On l’avait vu pleurer il y a quelques années lorsque Michelin lui retirait son étoile, à l’étonnement général de ses confrères, de ses clients et de la presse. Pleine de sentiment, sa cuisine nous semblait, et nous semble toujours, devoir figurer au haut du palmarès des plus belles tables du sud du pays. Ce soir, c’est nous qui pleurons, incrédules à fouiller les souvenirs... On s’est souvent vu, à l’occasion de l’écriture de Mange Wallonieet d’Une Terre, des Hommes et des recettes, que j’ai eu l’occasion d’écrire. On devait se revoir dans les prochains jours pour juste partir en forêt et y casser la croûte, au milieu des chants d’oiseaux et des parfums du printemps. On pense à lui. Tendrement. A Tristan, son fils dont il était fier, d'un coup à la barre, à l’équipe, et à sa maman. On est avec lui, avec eux. Mon dernier interview, il y a quelques mois, sur sa terrasse, en buvant bon et bien, comme toujours...

Si vous deviez résumer votre cuisine ? Le goût du beau produit et du travail bien fait, mais sans prétention. C’est une cuisine d’autodidacte, avec ce que l’expression sous-entend, notamment dans la curiosité et le respect à avoir pour les grands. Un autodidacte aura toujours envie d’en savoir plus. J’aime aussi rencontrer les chefs ou les artisans passés par de grandes écoles, notamment les Meilleurs Ouvriers de France (M.O.F). Leur façon de respecter le produit et le métier, c’est mon univers.

Autodidacte… Vous revendiquez cette référence ? Je n’étais juste pas fait pour les bancs d’école, mais cela ne veut pas dire que j’étais hermétique à l’enseignement. J’aimais, et j’aime toujours apprendre et découvrir. Être autodidacte n’est pas synonyme de vouloir vivre une aventure solitaire. J’apprécie être avec mes amis chefs et goûter ce qu’ils font. Partager nos découvertes. Être autodidacte, c’est un sentiment de liberté, mais celle-ci implique une sorte de curiosité nécessaire vers l’autre.

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Qu’est-ce qui a fait votre belle réputation ? Le travail de produits locaux, l’attention aux producteurs régionaux et le souci d’intégrer du terroir dans ma cuisine. Ma campagne, les forêts que je connais bien et que j’aime.

Et votre cuisine ? Plus j’avance, plus j’essaie de faire simple. Mais faire simple n’est pas une mince affaire. Quoi de plus simple apparemment que de tracer une ligne droite sur une feuille de papier ! Essayez, puis on en reparle…

Comment avez-vous vécu la perte de votre étoile ? Mal ! Je ne m’y attendais pas du tout. J’avais même entendu dire que l’on parlait de nous pour une seconde. Alors oui, ça m’a fait mal, même très mal. J’essaie toujours de comprendre. Même avec le recul, je ne comprends pas… J’avais eu plusieurs visites. Tout s’était bien passé… Tous les commentaires de clients, tous les retours sont impeccables. Franchement, je ne sais qu’en penser… C’est dur à vivre. Heureusement, j’ai été submergé d’appels et de messages d’encouragements de confrères, de clients, d’amis. On se sent un peu moins seul, et avec le temps qui passe, on en fait une motivation supplémentaire pour montrer à Michelin que c’est eux, et pas nous, qui se sont trompés…

Quelles sont les tendances pour la fin d’année ? Nous sommes dans une région de tradition pour le gibier. J’adore cela. Je me suis fait connaître il y a trente ans avec mon Assiette du braconnier. Mon savoir-faire a depuis évolué, accompagnant l’évolution du travail du gibier, mais ce est sauvage, comme on dit, continue de me titiller. On cherche toujours.

Vers ? En gibiers, on cherche aujourd’hui davantage la précision et la délicatesse, ce que cachait autrefois la marinade. Les gibiers nous sont livrés dans de meilleures conditions qu’autrefois, bien plus frais. Cela permet des cuissons plus courtes, davantage respectueuses du produit et du goût. On peut distinguer les viandes : le chevreuil ne ressemble pas à la biche, encore moins au cerf… Le filet de faon, je le présenterai avec une betterave, des champignons des bois et des salsifis du coin. Le chevreuil, je le réveille avec une pointe d’acidité, en respectant la douceur de la chair. J’y mettrai la poire, la prune, le sureau... J’achète aussi mes gibiers entiers. J’assume. La bête, on prend tout ou rien… Dans mon menu, si vous voulez rester accessible en prix, vous pourrez avoir des morceaux nobles et moins nobles, mais tout sera goûteux. C’est sur le moins noble, les hachés, les pâtés que l’on s’amuse le plus.

Les gibiers à plumes ? Là, on est aussi sur le faisan. J’espère pouvoir faire quelques bécasses et perdreaux. L’époque du faisandage du gibier à plumes est également révolue. Il faut du repos, mais pas de faisandage qui fait perdre en goût et en structure. J’apprécie travailler certains gibiers au feu de bois, juste saisir, puis compléter la cuisson par quelques secrets. Cela reste très naturel.

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Un secret ? Oh, je n’ai rien à cacher… Je serai toujours dans le partage. Alors mon perdreau, après l’avoir saisi, je vais simplement le terminer au beurre. Mais mon secret, c’est de l’arroser, de l’arroser, de l’arroser… Le beurre, en coulant, cuit la volaille.

Et les bécasses ? En Belgique, la chasse à la bécasse est autorisée, mais pas la vente. Je ne peux les préparer qu’en table privée si un ami m’en procure.

Ce qui veut dire ? Trente ans de cuisine, cela vous permet d’avoir quelques amis...

Et cela se prépare comment ? Avec amour, comme tout le reste.

Tristan Martin et l’ensemble de son équipe tiennent à préciser que, conformément à ce qu’Eric aurait souhaité, la maison continuera de vous accueillir comme elle l’a toujours fait depuis 15 ans et ce, dès ce Jeudi 18 avril soir. Allez-y !