Brussels, China Town

Tienchin a quarante ans. Il est arrivé en Belgique à trois ans. Il provient du sud de Shanghai, la région d'Aingtian qui a vu une partie de sa population émigrer vers la Belgique. Ses grands-parents ont ouvert à Liège dans les années 70 L'Asie. Ses parents avaient La Grande Muraille à Koekelberg. Egalement restaurateur, Tien Chin est chef et propriétaire de l'Esprit Bouddha, à Gosselies, restaurant récemment salué par Gault&Millau comme l' "Asiatique de l'année".

Liping Weng a immigré en 1989. Autrefois professeur, il est artiste et passionné de thé chinois, membre des « Feuilles vertes », association réunissant amateurs de thé. « Grâce à des passionnés dans son genre, les restaurants chinois commencent enfin à proposer des cartes de thés dignes de leur terre d'origine » précise Tienchin, relevant indirectement que les restaurateurs chinois n'ont pas toujours été les meilleurs ambassadeurs de leur pays.

L'argent est là-bas.

Nos guides nous entraînent chez Kam Yuen, le plus grand supermarché asiatique de Bruxelles. Rue de la Vierge noire et ouvert tous les jours, l'espace offre plus de 900M² de légumes et de fruits frais de saison, mais aussi de conserves, de fruits de mer et de poissons congelés, de sauces et de pâtes... « Chinatown n'est pourtant plus ce qu'il était à Bruxelles », relève Liping, « Certes, il y a foisonnement de produits, mais beaucoup de commerces chinois ont fermé. Beaucoup de Chinois sont rentrés au pays. L'argent est là-bas... »

Se méfier du glutamate « Outre la présence d'OGM dans les produits de grandes consommation, l'autre risque est le glutamate », poursuit Liping. « C'est un exhausteur de goût, mauvais pour la santé en grande quantité... Dans les restaurants chinois en Europe, les chefs en abusent souvent... Précisez bien à la commande de ne pas abuser... » « C'est facile à comprendre », reprend le chef. « Les premières générations de restaurateurs chinois n'étaient pas du métier. L'important était d'abord de faire de l'argent. Ils n'achetaient souvent que des produits de base. Résultat, ils utilisaient donc des rehausseurs de goût rentrés ici dans les habitudes... » On est dans un coin où foisonnent algues et champignons séchés. « Tout ce qui est séché est plus intéressant que ce qui est en boîte ou même parfois frais... Ces champignons doivent être réhydratés. Ils sont très intéressants dans les bouillons et les sauces. » Le chef pointe une boîte de haricots noirs séchés ou fermentés qu'il qualifie d'excellents, de « petite tuerie à poser sur des lamelles de méduse ou sur du tofu frais, avec une pointe de piment, en vente sur place ». Dans la seconde allée, les légumes en pickles et les huiles... « C'est préférable de faire cela soi-même, mais ceux-là sont corrects. Pickles de champignons, de concombre, d'oignons, de chou... Pour le restaurant, je les prépare moi-même, mais je mange ceux du magasin, en bocal, au petit-déjeuner en famille, dans un bouillon de riz. C'est notre culture ». Piments séchés, ensuite, également plus intéressants que les piments en boîte ou en bouteille, avec un conseil pour privilégier les origines sichuanaises... Suit l'incontournable sauce huître, le « lait de mer », autre classique de l'alimentation chinoise. Une sauce composée de fécule de maïs, de concentré d'huître et de caramel. Tienchin l'utilise sur une côte à l'os. « Je récupère les excès de gras de la viande que je fais revenir en dés, puis j'ajoute de jeunes oignons. Sel, poivre et sauce d'huître... On passe au tamis, puis on a une sauce différente... Voilà ma cuisine... » Autres bon plan, les lamelles de crevettes séchées ou de viandes séchées, excellentes pour renforcer un bouillon... Et puis les tofus frais, incontournables. Le tofu chinois, plus ferme, peut être découpé et tenir en forme... Le tofu d'origine japonaise est plus délicat et plus friable, intéressant dans un bouillon. Question de goût.

Le second espace est le paradis des pâtes. On tombe d'abord sur des ramenés en kit, à ne servir que lorsque vous n'avez vraiment plus rien dans le frigo. Peu recommandables, mais si faciles... Puis les pâtes. « Pâtes de blé, aux œufs, sans œufs, fines, larges. Pâtes de riz. Galettes de riz. Vermicelles. Pâtes de patates douces. Cheveux d'ange... Tout cela est très bien... J'ai même trouvé les pâtes de mon village. Manque de pot, ce sont les plus chères !. »

Plats vivifiants. Nos guides nous entraînent dans une dernière allée, moins fréquentée, proche des ustensiles de cuisine, où les produits rappellent les liens entre cuisine et médecine, étroits en Chine. On trouve des bouillons séchés, préparés à juste être réhydratés, puis chauffés. « Le bouillon de grand-mère... Mais ma grand-mère savait ce qu'il fallait mettre... Telle plante plante pour soigner tel bobo.. Telle herbe pour retrouver la forme... Ces bouillons préparés valent le coup... Une pochette, et on en a pour 8 personnes... Bouillon pour trouver de l'énergie. Bouillon pour bien digérer. Bouillon contre le stress. Bouillon idéal pour se remettre d'une fête trop arrosée. » Bref, l'idéal pour le Nouvel An que l'on s'apprête à fêter dans le quartier et tous les restaurants chinois du pays. René Sépul Pavé 1 Le chef s'explique : « Les premiers migrants qui se sont installés en Europe venaient pour travailler... Ils ont ouvert un restaurant par opportunité, sans être formés. C'étaient des paysans. Ces gens voulaient d'abord faire de l'argent. Ce fut plus ou moins la même chose pour la génération qui a suivi. L'accès aux produits asiatiques était aussi plus limité. Il y avait quelques grossistes chez qui ces chefs se retrouvaient. Tous se copiaient, mélangeaient cuisine de Pékin, de Shanghai, de Canton... La cuisine chinoise est pourtant pleine de subtilités. Mais aujourd'hui, les Occidentaux ne parlent que de cuisine chinoise... Cela ne veut rien dire... C'est comme si vous parliez de ‘cuisine européenne'... Comme si un restaurant mélangeait pizza, goulasch, moules frites, paella et des plats scandinaves... C'est seulement avec ma génération, la troisième, qu'un autre regard est venu sur la cuisine et les produits. J'assume une cuisine différente. Il y a du respect d'une certaine tradition dans mon savoir-faire, mais aussi de la créativité. »

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