Avec Thierry Germain, au Ventre Saint Gris

Thierry Germain, grand vigneron de Loire, était ce midi avec Simon Pirard au Ventre Saint Gris pour présenter ses vins et son travail. Ce fut un grand moment. Un grand repas, également, rehaussé de la présence d’Hendrik Dierendonck, qui nous a préparé une côte à l’os de Rouge des Flandres. Une tuerie. 

Voyage Vin Loire Roches Neuves5 Cici
Restaurant Belgique Ventre Saint Gris Plat

Avant cela Mike, l’excellent chef du Ventre, une maison que l’on ne cessera jamais de recommander, avait servi des asperges blanches avec morilles et un jus de derrière les fagots. Il y a quelques mois, dans le cadre de l’écriture d’Aimer le vin, toujours en vente dans les bonnes librairies ou sur le site (sh-opeditions.com), on avait été chez lui, à Varrains, en appellation Saumur-Champigny, avec Emmanuel et Simon Pirard. Thierry nous avait emmener au Clos de l’Echelier et au Clos de la Folie pour découvrir des vins qu’il nous a fait découvrir aujourd’hui. Des rouges, surtout, notamment les cuvées Les Mémoires, Clos de l’Echelier et Franc de Pied. Des vins grandioses, habités de poésie. Voilà le texte que j’avais écrit à l’occasion. Thierry, parle de son domaine et de sa découverte de la biodynamie.

Voyage Vin Loire Roches Neuves1

Thierry

En 91, Denis, l’ancien propriétaire du domaine, m’appelle. On se connaissait. Je suis fils de vignerons, sixième génération. Du Bordelais. Je m’apprêtais à partir en Hongrie. Denis en avait marre. Le domaine venait d’être gelé. Il m’a proposé le domaine. J’ai changé mes plans et accepté de le prendre en location avec la garantie de pouvoir racheter un jour, ce que j’ai pu faire en 2012. Il avait beaucoup bossé, mais il fallait tout reconstruire. J’ai pu acheter par la suite des parcelles sur le plateau et sur les coteaux, là où, selon moi, on fait les meilleurs vins de l’appellation. La grande histoire de Saumur Champigny se trouve sur les hauteurs, des parcelles davantage protégées du froid. Si on avait travaillé en plaine, on serait mort. Le froid a tué Denis ; le froid nous aurait eus. On s’est mis au boulot. Fin des années 90, on a développé l’approche parcellaire et la biodynamie.

Emmanuel

L’approche parcellaire n’existait pas par ici ?

Thierry

Moins qu’ailleurs… La notion de terroir que l’on connaît à Bordeaux ou en Bourgogne n’était pas reconnue à sa valeur en Loire. Tout s’est monté aussi avec les coups du destin. En 2012, j’ai appris que le clos de l’Echelier était à vendre. Ce clos avait une valeur sentimentale pour moi. Lorsque nous sommes arrivés en Loire avec mon épouse, nous avons a longé les bords du fleuve jusqu’à Dampierre, avant de monter la colline et descendre sur Varrains. J’ai vu ce clos. Je me suis arrêté et j’ai dit à ma femme : « celui-là, je te l’offrirai un jour ». Un endroit magique ! Apprenant qu’il était à vendre, j’ai été voir le propriétaire sans trop y croire vu la taille. Le gars ne m’appréciait pas trop. Puis il y avait l’emplacement et la qualité des vignes : trois hectares dont une partie plantées en 1904... En les parcourant, j’avais les larmes aux yeux… La gorge nouée…  Je ne savais que dire ! Le vigneron a senti mon émotion et m’a dit : « je suppose que vous ne voulez pas arracher… » Et je lui dis : « jamais de la vie ! » Il m’a répondu : « alors c’est pour vous ! » On est devenu amis. Il m’a permis de récupérer également le Clos de la Folie. Sur des parcelles pareilles, cela aurait été un crime de ne penser à travailler en parcellaires. Cette démarche nous a fait faire un bond qualitatif énorme.

Voyage Vin Loire Roches Neuves3 Cici

Emmanuel

Et la biodynamie ?

Thierry

C’est un chemin parallèle, une quête de vie, une ouverture au monde.  L’histoire commence avec la rencontre de Gérard Gauby, un vigneron de Calce. En arrivant chez lui, je me suis d’abord demandé où je tombais. Le mec, en jogging, ancien rugbyman… Et puis ce fut le coup de foudre ! Le genre de rencontre qui vous change une vie ! Il y a aussi dans la foulée celle de Charly Foucault du Clos Rougeard. Charly m’a présenté à François Bouchet, un pionnier de la biodynamie, aujourd’hui décédé. François avait convaincu à la fin des années 80 des vignerons comme Lalou Bise-Leroy ou Anne-Claude Leflaive de l’intérêt de la biodynamie. 

Emmanuel

Comment cela s’est-il passé pour vous ?

Thierry

François m’a dit de venir de bonne heure le lendemain dans les vignes avec une chaise. Là, il m’a demandé de m’asseoir et de regarder. Il m’a montré comment la feuille suivait le raisin en le protégeant du soleil. On a beaucoup parlé. Je me souviens de la citation : « Il y a rien de facile à croire, ce qui est difficile, c’est de voir avec les yeux ce qu’on a devant les yeux… » Cette phrase m’accompagne depuis ce jour. J’ai pris conscience ce matin-là du chemin à parcourir pour rentrer en harmonie avec mon environnement. François m’a aidé, me faisant comprendre combien la biodynamie était aussi la sauvegarde d’un modèle familial de vie. C’est une façon de trouver son équilibre dans un domaine où l’humain doit rester la règle. 

Emmanuel Pirard

Comment les choses se sont-elles mises en place ?

Thierry Germain

On a beaucoup travaillé le végétal, mais aussi l’humain. Les relations entre nous, au domaine, sont optimales. La confiance règne. On s’aide, on se responsabilisé les uns les autres. Depuis quelques mois, on travaille fortement le côté animal. On a aménagé des écuries pour avoir nos chevaux au cœur même du domaine. La biodynamie, c’est un équilibre, une harmonie avec le vivant. Le malheur, c’est le côté marketing que cela a pris.


Voyage Vin Loire Roches Neuves 6 Cici

Emmanuel

Le côté marketing ?

Thierry

Cette manière d’affirmer les choses sur la bouteille. Parler pour parler. Faire de la biodynamie un concept de vente... L’important, c’est le vin et le vigneron. Là, on nous rabat les oreilles avec le sans soufre. C’est un faux problème... Du soufre, tu en as toujours eu naturellement dans le vin. Il n’y a pas besoin de le mettre sur l’étiquette. La biodynamie, c’est d’abord une manière de vivre... C’est de l’humilité. Cela ne s’écrit pas sur tous les toits. Qu’on laisse le vin parler ! Cela ne veut pas dire que je ne suis pas attentif à ces questions. On a beaucoup diminué le sulfitage. Sur les millésimes où l’on peut se permettre de ne pas ajouter de soufre, on n’ajoute pas… Sur la cuvée Domaine, cette année, on était à zéro ajout. Le souffre n’apporte rien à un vin s’il est vivant. La minéralité et la terre le portent... C’est ça l’important. C’est le terroir qui fait vivre un vin. C’est histoire de sulfite est un faux problème. 

Emmanuel

A quel niveau

Thierry

Un vin n’a pas, ou n’a guère besoin, d’ajout de souffre… En 25 ans, sur la cuvée Domaine, on est passée de 85 mg de soufre à 10 mg. Cette année, zéro ajout… Mais pas besoin de l’écrire en grand sur l’étiquette. C’est du vin, c’est tout !

Simon

Mais alors quel regard portez-vous sur les vins des premières années ?

Thierry

Je ne les renie pas, mais je sens les défauts : l’excès de bois, l’excès de maturité… On poussait trop la vigne. Les erreurs, les défauts, vingt ans plus tard, tu les goûtes toujours… Mais je ne renie rien... La Marginale 95, 96 ou 99 tiennent ! On peut même parler de grands vins dans certains cas… La différence, c’est l’émotion. Je n’y trouve pas beaucoup d’émotion. L’émotion, c’est l’homme derrière son vin qui a changé. Cela, je l’ai trouvé avec le temps. C’est  un cheminement. Plus j’avance, plus je travaille à l’intuition... Je n’aurais pas pu me permettre cette attitude autrefois. 2013, par exemple… 2013 est cité par tout le monde comme un millésime difficile en Loire ! J’ai pourtant l’impression d’avoir vinifié un de nos plus grands millésimes. Et je l’ai abordé comme un enfant de cinq ans devant une feuille blanche. Je me suis laissé aller... Avant on laissait macérer trente jours avant de presser… Là, on a décuvé après douze jours… Pourquoi à douze jours ? Je ne peux pas l’expliquer ! J’ai senti que c’était bon ! C’est çà le côté vivant. Ça se sent. Le Clos de l’Echelier, en 2013, a macéré à peine neuf jours alors que nous avions laissé macérer vingt-cinq jours sur le millésime précédent... Ce ne sont pas les analyses qui nous ont poussés. On a juste senti les choses. Et j’étais juste certain d’être dans le bon.