AIMER LE VIN (Extrait 8)

Au Domaine des Roches neuves, à Varrains, en appellation Saumur-Champigny, à parcourir le Clos de l’Echelier et ses vignes centenaires, puis le Clos de la Folie. A écouter Thierry Germain évoquer son long cheminement vers la biodynamie et dans un métier perçu comme un mode de vie avant. Puis on a retrouvé le domaine où Emmanuel Pirard allait autrefois composer sa cuvée maison, et la cave en tuffeau où l’on a dégusté les 2015.

Vigneron France Roches Neuves En Cave1 Cici Olsson

Thierry Germain. En 91, Denis Duveau, l’ancien propriétaire, m’appelle. On se connaissait. Originaire d’une famille bordelaise de vignerons, je m’apprêtais alors à partir en Hongrie. Il en avait marre. Il a insisté pour que je monte. Le domaine venait d’être gelé. Il m’a proposé le domaine. J’ai changé mes plans et accepté de le prendre en location avec la garantie de pouvoir racheter un jour, ce que j’ai pu faire en 2012. Denis avait beaucoup bossé, mais il fallait tout reconstruire. On a pu acheter par la suite des parcelles sur le plateau et sur les coteaux, là où, selon moi, on peut faire les meilleurs vins de l’appellation. Pour moi, la grande histoire de Saumur Champigny se trouve sur les hauteurs, davantage protégées du froid. Si on avait travaillé en plaine, on serait mort. Le froid a tué Denis ; le froid nous aurait eus. Avec ces parcelles bien situées, fin des années 90, on a pu développer l’approche parcellaire et la biodynamie.

Vigneron France Roches Neuves Thierry Germain1 Cici Olsso Roches Neuves 14 Cici Olsson

Emmanuel Pirard. L’approche parcellaire n’existait pas par ici ?

Thierry Germain. Moins qu’ailleurs… La notion de terroir que l’on connaît à Bordeaux ou en Bourgogne n’était pas reconnue à sa valeur en Loire. Un exemple : en 2012, j’apprends que le Clos de l’Echelier était à vendre. Ce Clos avait une valeur sentimentale pour moi. Lorsque nous sommes arrivés en Loire avec mon épouse, nous avons a longé les bords du fleuve jusqu’à Dampierre, avant de monter la colline et descendre sur Varrains. J’ai alors vu ce clos. Je me suis arrêté et j’ai dit à ma femme : « celui-là, je te l’offrirai un jour ». Un endroit magique ! J’apprends qu’il est à vendre en 2012. Je vais voir le propriétaire sans trop y croire vu la taille, l’emplacement et la qualité des vignes : trois hectares dont une partie plantées en 1904... En les parcourant, j’avais les larmes aux yeux… La gorge nouée…  Je ne savais que dire ! Le vigneron a senti mon émotion et m’a dit : « je suppose que vous ne voulez pas arracher… » Et je lui dis : « jamais de la vie ! » Il m’a répondu : « alors c’est pour vous ! » J’ai également pu récupérer le Clos de la Folie. Les cuvées parcellaires que nous en tirons nous ont fait faire un bond qualitatif énorme.

Emmanuel Pirard. Et la biodynamie ?

Thierry Germain. C’est un chemin parallèle, une quête de vie, une ouverture au monde.  L’histoire commence avec la rencontre de Gérard Gauby, un vigneron de Calce. En arrivant chez lui, je me suis d’abord demandé où je tombais. Le mec, en jogging, ancien rugbyman… Et puis ce fut le coup de foudre ! Le genre de rencontre qui vous change une vie ! Il y a aussi dans la foulée celle de Charly Foucault du Clos Rougeard. Charly m’a présenté à François Bouchet, un pionnier de la biodynamie, aujourd’hui décédé. François avait convaincu à la fin des années 80 des vignerons comme Lalou Bise-Leroy ou Anne-Claude Leflaive de l’intérêt de la biodynamie.

Emmanuel Pirard. Comment cela s’est-il passé ?

Thierry Germain. François m’a dit de venir de bonne heure le lendemain dans les vignes avec une chaise. Là, il m’a demandé de m’asseoir et de regarder. Il m’a montré comment la feuille suivait le raisin en le protégeant du soleil. On a beaucoup parlé. Je me souviens de la citation : « Il y a rien de facile à croire, ce qui est difficile, c’est de voir avec les yeux ce qu’on a devant les yeux… » Cette phrase m’accompagne depuis ce jour. J’ai pris conscience ce matin-là du chemin à parcourir pour rentrer en harmonie avec mon environnement. François m’a aidé, me faisant comprendre combien la biodynamie était aussi la sauvegarde d’un modèle familial de vie. C’est une façon de trouver son équilibre dans un domaine où l’humain doit rester la règle.

Emmanuel Pirard. Comment les choses se sont-elles mises en place ?

Vigneron France Roches Neuves Bouteilles Cici Olsson

Thierry Germain. On a beaucoup travaillé le végétal, mais aussi l’humain. Les relations entre nous, au domaine, sont optimales. La confiance règne. On s’aide, on se responsabilisé les uns les autres. Depuis quelques mois, on travaille fortement le côté animal. On a aménagé des écuries pour avoir nos chevaux au cœur même du domaine. La biodynamie, c’est un équilibre, une harmonie avec le vivant. Le malheur, c’est le côté marketing que cela a pris.

Emmanuel Pirard. Marketing ?

Thierry Germain. Cette manière d’affirmer les choses sur la bouteille. Parler pour parler. Faire de la biodynamie un concept de vente... L’important, c’est le vin et le vigneron. Là, on nous rabat les oreilles avec le sans soufre. C’est un faux problème... Du soufre, tu en as toujours eu naturellement dans le vin. Il n’y a pas besoin de le mettre sur l’étiquette. La biodynamie, c’est d’abord une manière de vivre... C’est de l’humilité. Cela ne s’écrit pas sur tous les toits. Qu’on laisse le vin parler ! On a beaucoup diminué le sulfitage. Sur les millésimes où l’on peut se permettre de ne pas ajouter de soufre, on n’ajoute pas… Sur la cuvée Domaine, cette année, on était à zéro ajout. Le souffre n’apporte rien à un vin s’il est vivant. La minéralité et la terre le portent... C’est ça l’important. C’est le terroir qui fait vivre un vin. Cette histoire de sulfite est un faux problème. (…) la suite dans le livre. En librairie d’ici quelques jours et sur le site.