AIMER LE VIN. A CHATEAUNEUF-DU-PAPE (EXTRAIT 6)
L'après-midi au Domaine de Beaurenard avec Daniel et Frédéric Coulon. Puis on s'en va marcher dans les vignes et découvrir l’incroyable spectacle du vignoble de Châteauneuf. Comprendre alors ce que sont ces terrasses couvertes de galets roulés. Un spectacle fascinant. Dîner le soir au Verger des Papes, une table dominant le village, avec vue sur le Rhône et Avignon dans le lointain, à découvrir la belle cuisine du chef et à goûter, en primeur, le 1er millésime de « Gran Partita », la nouvelle cuvée du domaine.


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Frédéric Coulon. Papa s’est posé la question du bio dès les années 70. Il a assisté à quelques conférences. Il utilisait des fumures organiques afin d’avoir un sol fertile et vivant, mais il était un peu trop cartésien pour l’esprit bio de l’époque. Il a rencontré des gens sérieux, mais aussi des rigolos. Puis il faut rappeler le contexte historique pour comprendre sa viticulture, marquée par les Trente Glorieuses et la mécanisation de l’agriculture. Il s’est tourné vers l’agriculture raisonnée. La prise de conscience s’est faite avec le temps, puis s’est affirmée avec mon frère Daniel.
Daniel Coulon. Il faut préciser que notre mère était très attentive à l’agriculture paysanne. Elle fréquentait les marchés des petits producteurs locaux, qui se créaient à l’époque en Provence. Il y avait une véritable attention. De mon côté, j’ai beaucoup lu. Puis j’ai rencontré d’autres viticulteurs. Nous sommes venus au bio, puis à la biodynamie ; mais notre savoir-faire s’enracine dans la vision des générations précédentes. C’est une évolution. On insiste là-dessus.
Frédéric Coulon. On est resté attachés à la vision d’une agriculture traditionnelle et paysanne proche de celle de nos aïeuls. On se voit comme un lien, un chaînon, entre passé et avenir. On essaie de traduire une certaine tradition en vins.
Daniel Coulon. Le style des vins diffère... Cette question du style, on la partage avec d’autres vignerons de notre génération. On limite le degré d'alcool, parce que l’on comprend cette envie de vins plus délicats et plus légers. On cherche à conserver de l'acidité, surtout sur les blancs. On se méfie du soufre, qui limite la vitalité des lies. On évite la puissance. On préfère un équilibre plutôt salé que sucré… C’est là que l’on trouve l’élégance qui nous plaît. Notre père défendait déjà cette ligne. Par contre, ce qui change par rapport à la génération précédente, c’est la prise en compte de la problématique du réchauffement climatique. Face à ce problème, la biodynamie nous aide. On a été parmi les premiers à s’engager en ce sens sur Châteauneuf-du-Pape. On ne le regrette pas.
Emmanuel Pirard. En quoi la biodynamie aide-t-elle à résister au réchauffement ?
Daniel Coulon. Elle aide la vigne à se défendre… Une vigne qui sait se défendre est plus résistante. La biodynamie, comprenez-le bien, c’est un tout. C’est une attitude dans le travail, du premier au dernier jour de l’année. Les labours se font chez nous au cheval. Cela participe de notre vision du métier. En agissant ainsi, les terres sont moins tassées et plus vivantes. On maîtrise l’érosion. Les racines peuvent descendre bien bas pour s’alimenter. Vous avez vu quelques-unes de nos parcelles. Même les plus exposées au soleil sont resplendissantes. Elles résistent bien mieux à la chaleur que d’autres parcelles voisines travaillées en conventionnel et irriguées. C’est étonnant.
Emmanuel Pirard. Vous vous appliquez à travailler les 13 cépages autorisés par l’appellation.
Daniel Coulon. Oui, cette diversité est liée à l’appellation. Elle nous plaît. La cuvée « Boisrenard », en rouge, est composée des différents cépages. C’est un vin très complexe. L’âge des pieds est également à prendre en compte. Nous travaillons sur certaines parcelles de vignes de 60 à 100 ans. Sur ces parcelles, les cépages sont mélangés. Les vignerons travaillaient ainsi autrefois. Tout était bien plus mélangé. C’est un patrimoine que nous tenons à protéger.
Emmanuel Pirard. Vous faites référence à votre conservatoire ?
Daniel Coulon. Oui, nous y avons planté des greffes de différents pieds récupérées un peu partout sur nos parcelles. Tout a été fait à l’ancienne. Cette parcelle, nous l’avons baptisée : « La Collection ». Elle nous permet de partir de nos propres souches pour remplacer les pieds morts sur la propriété. Mais on en profite aujourd’hui pour vinifier une nouvelle cuvée reprenant les 13 cépages issus d’une même parcelle. On doit être les seuls à pouvoir le faire à Châteauneuf. Le premier millésime remonte à 2012. On l’a baptisé « Gran Partita », 13 cépages en hommage à la sérénade de Mozart, écrite pour 13 instruments à vent. Ce vin est un exemple du lien que nous tenons à entretenir avec les générations précédentes. Ce sont elles qui ont planté ces vignes.
