A Faugères, chez Jean-Michel Alquier

Dans les vignes, puis en cave, à goûter des vins à l'élevage, "Les Vignes du Puits », assemblage de marsanne, roussane et grenache blanc, puis les cuvées « Maison jaune » et « Les Bastides d’Alquier », à dominante syrah, en rouge. Extrait d'un livre à l'écriture consacré à la famille Pirard, négociant historique en vins. Le livre sortira en octobre prochain.     

1978. Jean-Michel Alquier rejoint son père Gilbert au domaine familial, créé un siècle plus tôt, à l’époque où la culture de la vigne, malgré la crise du phylloxéra, se met en place à Faugères. On est au nord de l'Hérault, entre Bédarieux et Pézenas, un terroir adossé aux premiers contreforts de la Montagne noire. Des coteaux schisteux, des pierres émiettées, une végétation différente des appellations voisines où les garrigues dominent. Particularité de l’endroit: on dit que les raisins y murissent sous les étoiles car les pierres des sols retiennent la chaleur du jour qu’ils restituent la nuit. Gilbert Alquier, père de Jean-Michel, reprend le domaine dans les années 50. Il est un des premiers dans la région à planter des pieds de syrah au Languedoc. Son fils s’inscrit dans la philosophie de son père, privilégiant ce cépage au carignan, cépage phare de l’appellation. En quête d’une expression originale du terroir, il développe un mode de culture tourné vers le bio et la biodynamie, respectant l’identité de terroirs magnifiques dominés par le Pic de la Coquillade.

Jean-Michel : Jeune, j’avais plutôt envie de vivre d’amour, d’eau fraîche et de pastis… Et d’un coup, ne me demandez pas comment ni pourquoi, j’ai eu comme une révélation : le vin est devenu naturellement ma voie. C’était une époque particulière. Les importateurs étrangers commençaient à s’intéresser à nos vins : les Américains, les Allemands, les Belges... C’est ainsi que nous avons commencé à travailler avec la Belgique avec la Maison Pirard. Après quelques années, j’ai commencé à voir les choses de manière un peu différente de mon père. J’ai travaillé en m’inspirant du savoir-faire des Bourguignons. Je voulais préserver l’esprit familial de la maison, tout en travaillant davantage le terroir. J’ai commencé à travailler par parcelles. C’est une approche plus bourguignonne… Aller chercher dans chacune d’elles ce qu’il y a de meilleur et de particulier. Côté cépage, j’ai commencé en tâtonnant avec la triade syrah, grenache et mourvèdre, mais la dominante sur les rouges reste la syrah. Là, je me suis inscrit dans les pas de mon père. Puis il y a l’élevage en barriques où l’influence est plutôt bordelaise… Mon père ne voulait pourtant pas en entendre parler. Lui, c’était la cuve ciment et rien d’autre. Mais il m’a laissé essayer… Et j’ai été content du résultat. J’aime la profondeur et la gourmandise. La barrique arrondit un peu les angles. Cela apporte un peu de douceur. Il y a dans mon approche ce côté du Bordelais à l’élevage et le côté bourguignon à la vigne. La barrique réclame plus d’attention. J’utilise toujours le même bois, toujours le même tonnelier, toujours le même brulage.

Emmanuel :  Et le bio ?

Jean Michel : C’est venu un peu plus tard. J’avais un parasite dans mes vignes : l’araignée jaune. Cela empêchait une belle maturité du raisin. Je voulais traiter mais je me posais des questions. Un représentant m’a conseillé un produit, mais en me demandant si j’avais une cabine sur le tracteur. Il m’a dit qu’il fallait une cabine et un masque. » Alors là j’ai dit non. M’enfermer ! Porter un masque ! J’ai pensé à moi, mais aussi aux randonneurs et aux gamins qui se promènent dans les garrigues. Je me suis dit : « c’est pas possible ! »  Ce fut la prise de conscience. Je suis passé en bio, puis en biodynamie... Je ne l’ai jamais regretté ! Pas de pesticide, pas de chimie, une terre est saine. C’est plus de travail, mais qu’est-ce que je me sens sent mieux ! Et les merdes ont disparu dans la vigne. Les araignées et tous ces trucs ! Fini ! On ne s’empoisonne plus ! On cuivre un peu, on souffre un minimum… Et les vins, c’est autre chose... Faut voir les racines… ça descend à 6, 7 mètres… Et çà, cela donne plus de fruit, plus de noblesse en bouteille. Et puis, humainement, on se sent bien. Pour tout dire, je me régale. C’est du boulot, mais qu’est-ce que je me régale ! Je pars une semaine en vacances, il me tarde de revenir... Cette terre me manque ! Certes il faut aimer la solitude... le vent... le froid… la chaleur… Les journées entières à face à soi-même. Il faut aimer... Mais ça me permet de penser. Je regarde à l’horizon, je vois Sète, la Méditerranée... Je respire, je sens le thym, le romarin, le laurier et la menthe tout autour. Il y a la sauge, les asperges et les poireaux sauvages. Et tout ça se retrouve dans le vin. La seule chose qui m’ennuie parfois, c’est le prix de mes bouteilles. Ces produits propres devraient être à la portée de tout le monde. Tout le monde devrait avoir accès à mon travail ! Mais c’est le contraire qui se passe ! Si tu fais bien, ton vin est cher... On devrait faire payer les pollueurs ! Cultiver coûte ! Ce mot là, il faut le défendre : cultiver ! Travailler le naturel ! Transformer le naturel. Le vin, la truffe, cela n’a rien de naturel. La main de l’homme a son importance. Le vin en appelle à ton intuition pour devenir ce qu’il est. Ton goût ! Cette petite chose qui t’amène à décider ceci ou cela… Cela rend ton vin différent et personnel ! Quelque part, tu crées... Il faut rester humble, respecter la terre et le terroir, mais tu y mets ta touche...